Écrire avec l’abbé Sieyès (épisode n°3 de la série Politique & Littérature)

Emmanuel Sieyès est un père de la Révolution française, relativement méconnu mais dont les écrits ont condensé les revendications et les idées de l'esprit public et "attisé la flamme de la contestation", selon Bruno de Cessole, auteur du Sceptre et de la Plume, ouvrage sur lequel cette série s’appuie.

C'est lui, en quelque sorte, qui inaugura la Révolution, puis refermât ce chapitre politique en participant directement au coup d'Etat du 18 Brumaire. Il est ensuite fait comte sous l'Empire, ce qui ne manque pas d'ironie ayant été un pourfendeur de la noblesse et des privilèges.

S'il a été un personnage animé de négativité, misanthrope même, et sans réel talent d'orateur, son idéal stylistique a laissé des traces en se moquant de l'éloquence trop lyrique de certains de nos discours politiques.

Il écrivit ceci notamment : "Pourquoi notre style oratoire et académique est-il si apprêté? Je voudrais bien savoir si dans la Grèce, si dans la Rome libre, ses orateurs s'occupaient d'un autre art que celui d'aller au but. Nous, qui n'en avons point, nous ornons, nous faisons de la musique pour les sens, des images etc. Nous produisons des effets sensitifs, nous communiquons des émotions vagues ou particularisées, mais nous ignorons l'art d'éclairer un parti, et de pousser à le prendre (...)."

La citation à retenir:

« Qu’est-ce que le tiers état? Tout. Qu’a-t-il été jusqu’à présent dans l’ordre politique? Rien. Que demande-t-il? À y devenir quelque chose. »

Voilà qui est incisif. Selon l’historien Jules Michelet, ces quelques phrases ont armé la Révolution “de sa formule victorieuse, de sa hache et de son épée.

Ce texte est paru au début de l’année 1789 sous le titre Qu’est-ce que le tiers état? Tranchant, il s’est très vite imposé comme la référence, vendu à plusieurs dizaines de milliers d’exemplaires et a éclipsé presque tous les autres écrits révolutionnaires.

Le style de l’abbé Sieyès:

L’abbé Sieyès est pourtant un parfait inconnu à l’époque mais c’est un ambitieux. Jeune homme, il fut un boulimique de savoirs et n’a jamais cessé d’écrire.

Pour lui, la langue est “au début de tout.” Et il estimait que la Révolution politique de 1789 devait s’accompagner d’une langue citoyenne tout aussi novatrice, sans pour autant tomber vers le vocubulaire trivial voire ordurier.

Il n’aimait pas non plus le style rhétorique, grandiloquent et ponctué d’interjections qui faisait le bonheur de la plupart des révolutionnaires de l’époque.

Il privilégiait un langage “simple et direct qui va droit au but sans chercher l’effet et le suffrage du public.

Il écrit ceci à ce propos : “la langue la plus raisonnable devrait être celle qui se montre le moins, qui laisse passer, pour ainsi dire, le coup d’œil de l’entendement et lui permet de ne s’occuper que des choses; et point du tout cette langue coquette qui cherche à s’attirer les regards; ou, si vous aimez mieux, la langue ne devant être que le serviteur des idées, ne peut point vouloir représenter à la place de son maître.

L’histoire a montré cependant que le peuple “préfère être séduit que convaincu” et qu’à ce titre, il est souvent charmé par l’emphase et les effets de manche.

On lui doit d’ailleurs des formules qui ont guidé le peuple français comme celle citée plus haut.

Cependant, il avait le souci constant de ne pas apparaître comme “faisant le beau.” et détenait en revanche l’art “d’éclairer un parti et de pousser à le prendre.” Il était ainsi motivé par la raison et non l’émotion et se définissait comme un “écrivain patriote.”

J’exige deux qualités dans l’écrivain patriote. Qu’il dise la vérité sans dissimulation, et qu’il ne se contente pas de l’appuyer sur son sentir, sur ses droits, mais qu’il la fonde sur les principes de la science morale et politique.

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