“Accepter de perdre nos enfants”, un électrochoc salutaire
Ces simples mots, isolés d’un long discours, ont fait l’effet d’un électrochoc.
Je le crois, pour ma part, salutaire.
Il y a deux ans, je lisais L’Etrange défaite de Marc Bloch que nous allons panthéonisé en juin prochain. Cette phrase m’avait particulièrement marqué : "Je souhaite, en tout cas, que nous ayons encore du sang à verser, même si cela doit être celui d'êtres qui me sont chers. Car il n'est pas de salut sans une part de sacrifice ; ni de liberté nationale qui puisse être pleine, si on n'a travaillé à la conquérir soi-même." Le chef d’état-major de notre armée ne dit pas autre chose.
Il me semble que la France de 1940 ressemble étrangement à la France de 2025. Elle s’est enfermée dans la paresse intellectuelle. Elle s’est reposée sur ses acquis et la paix qu’elle pensait conquise à jamais. Ce faisant, elle s’abstient aujourd’hui de faire son examen de conscience comme Marc Bloch a entrepris, en son temps, de le faire à sa place.
Eh bien, je crois qu’il est grand temps de faire à nouveau cet examen de conscience comme je crois qu’il est nécessaire de mettre entre les mains de nos jeunes générations L’Etrange défaite. Parce que toutes les leçons que nous avons à réapprendre s’y trouvent.
Je suis père de deux enfants, un garçon de dix ans et une fille de huit ans. Les perdre, s’ils étaient amenés à s’engager sur le front, provoquerait une douleur absolue, une épreuve dont on ne se remet jamais vraiment. Qui peut souhaiter cela ? Personne, pas même notre chef d’état-major. Il ne dit pas qu’il s’agit d’envoyer, le sourire aux lèvres, tous nos enfants au combat, la fleur au fusil comme nos soldats de 14. Il nous dit qu’il faut en revanche se tenir prêt à accepter ce sacrifice. Se préparer mentalement à cette éventualité qui évidemment ne réjouit personne mais qui est pourtant au fondement du contrat moral qu’une civilisation ou qu’une nation passe avec son peuple.
La dissuasion ne passe pas seulement par notre force de frappe nucléaire. Elle passe aussi par notre force de frappe morale. Si notre peuple n’est plus prêt à accepter des sacrifices, humains comme économiques, il devient un peuple faible, et donc un peuple qui peut être attaqué à tout moment.
Ce qui est vrai, c’est que ces mots dérangent. Ils crispent. Ils nous mettent mal à l’aise. C’est bien cela tout le drame de notre époque. Nous avons oublié de réfléchir à cette possibilité de perdre nos enfants à la guerre, ou d'y partir nous-mêmes. Cela fait longtemps que le sujet a déserté nos déjeuners de famille ou nos conversations de bistrot entre copains. Nous avons pensé vivre éternellement des dividendes de la paix. Nous avons supprimé le service militaire et progressivement, nous avons fait disparaître toute forme d’engagement, civil comme militaire. Même le bénévolat est en crise dans notre pays. Nous nous sommes repliés sur nous-mêmes et avons perdu tout sens du collectif, à l’exception de quelques moments d’union populaire quand nos sportifs lèvent des trophées internationaux.
Nous refusons de nous poser la question du sacrifice, de ce que cela coûte.
Que signifie aussi le courage aujourd’hui ? Ce sont des questions difficiles certes, mais il est vital d’y réfléchir. C’est ce que nous demande le général Mandon.
Je ne sais pas, à titre personnel, si je suis courageux. J’espère pouvoir l’être. J’aime la définition du courage donnée par Hélie Denoix de Saint Marc dans sa lettre à un jeune de vingt ans : « De toutes les vertus, la plus importante me paraît être le courage, les courages, et surtout celui dont on ne parle pas et qui consiste à être fidèle à ses rêves de jeunesse. Et pratiquer ce courage, ces courages, c’est peut-être cela l’honneur de vivre. »
Je voulais être pilote de chasse. Je ne le suis pas. C’est aujourd’hui le rêve de mon fils. Ce que cela implique, c’est bien sûr le risque d’être abattu, c’est aussi le risque d’ôter la vie. Être prêt à payer ce prix-là, c’est d’abord savoir au nom de quoi.
C’est là où nous devons regarder notre pays en face : son histoire, son drapeau, son peuple, son énergie et puis la beauté de sa langue et de ses paysages.
Tout cela ne mérite-il pas qu’on se batte pour vivre en liberté dans ce pays ?
Certains me rétorqueront que ce pays-là a disparu, qu’on lui a arraché ses racines, qu’on a détruit sa force de caractère et qu’au fond, cela ne vaut même plus la peine que nous nous battions pour lui.
Je pense tout l’inverse. C’est justement en sachant de nouveau lever des Hommes par le dépassement de soi et le sens du sacrifice que notre pays retrouvera la force de ses racines et renouera avec l’épopée qu’il incarne depuis des siècles.
« La nation est une âme, un principe spirituel », disait Ernest Renan. Si nous sommes prêts à consentir à des sacrifices douloureux, alors l’âme française a encore une chance de renaître de ses cendres, comme elle a réussi à le faire à tant de reprises dans son histoire.
Ne passons pas à côté de cette opportunité de réveiller nos âmes endormies. Montrons au reste du monde que cette âme, solide et courageuse, porte même un nom : le panache. La France en est la définition ultime. Ce panache français, c’est la condition de notre liberté future.
Si vis pacem, para bellum.

